Les maladies rares ne peuvent être « une double peine »

Carte blanche rédigée par Franck Devaux (Ethicien et Président du Comité d’Ethique à l’HUDERF, Coordinateur de la Fonction Maladies Rares à l’Hôpital Universitaire de Bruxelles) et Prof. Béatrice Gulbis (Directrice de la Fonction Maladies Rares à l’H.U.B et Co-Coordinatrice d’EuroBloodNet, le réseau européen de référence sur les maladies hématologiques rares).

Retour aux actualités
Fonction maladies rares

LAYLA, UNE HISTOIRE PAS SI RARE 

Layla est une adolescente de 17 ans. Elle vit en Belgique avec ses parents et ses deux petits frères. Layla est atteinte de drépanocytose, une maladie rare qui touche les globules rouges de son sang. L’histoire de Layla, c’est celle d’une odyssée. Diagnostique d’abord. Depuis sa naissance, elle semble vite fatiguée et se plaint souvent d’avoir mal. Cela lui vaut de nombreuses remarques, notamment à l’école. Alors Layla voit des médecins, beaucoup de médecins. Elle subit beaucoup d’examens aussi et reçoit des diagnostics erronés et des traitements inadaptés. Il faut attendre sa huitième année, pour que, grâce à la mère d’une amie souffrant de la même maladie, Layla trouve un médecin qui nomme sa maladie. 

Malheureusement, l’errance diagnostique et thérapeutique est fréquente chez les patients atteints d’une maladie rare. En moyenne, il faut cinq années à un patient pour obtenir un diagnostic. Cependant, cette attente est souvent renforcée par des facteurs d’exclusion et d’invisibilisation. 

D’abord, il y a l’âge. La majorité des maladies rares se déclare dans l'enfance. Or, la pédiatrie, pourtant essentielle, reste insuffisamment reconnue et financée. De plus, elle ne bénéficie pas d'autant de ressources et de visibilité que la médecine adulte. Le développement et la promotion de soins experts, allant de la périnatalité à la période de transition vers la médecine adulte, restent encore un enjeu majeur dans l'évolution d’une justice des soins pour les enfants. Des soins entamés à temps offrent une chance de diminuer l’impact de la maladie sur l’enfant et sa famille. 

Layla n’a pas bénéficié d’un dépistage à la naissance. Le dépistage de la drépanocytose à la naissance n’a été intégré au programme national de dépistage en Belgique qu’en janvier 2023 et seulement en francophonie. Mais ça ne s’arrête pas là. Pour Layla, l’adolescence fut une nouvelle suite d’épreuves. Pour les patients atteints de maladie chronique, la transition vers la médecine adulte est une période critique avec notamment des pertes de repères. Les médecins rencontrés la connaissent moins bien, ils connaissent également moins bien sa maladie, ses besoins, ses attentes. Pour eux, elle est “une nouvelle patiente”. Pour elle, sa maladie n’a plus rien de nouveau.  

Ensuite vient le genre. Malheureusement, les études sont nombreuses et accablantes. Elles montrent que les femmes rencontrent plus de difficultés à accéder à des soins adaptés Cette disparité trouve ses racines dans une médecine historiquement centrée sur une norme masculine, visible dès les atlas d’anatomie. Souvent, trop souvent, le témoignage des patientes pointe dans la même direction. Il leur est difficile de se faire entendre et d'être reconnues dans la singularité de leurs vulnérabilités et de leurs souffrances. Elles témoignent régulièrement le sentiment d'être reléguées derrière des troubles psychosomatiques, des problèmes de poids, ou des problèmes hormonaux. Pourtant, par manque de formation et d’information, cette invisibilisation est actée sans plus d'investigation ou d'examens qui pourraient contrebalancer le risque lié à un mauvais diagnostic.  

Layla aussi connaît cette invisibilisation, ce manque d’écoute et de reconnaissance. Elle lutte contre cette forme d’exclusion. Elle doit sans cesse répéter à des soignants de ne pas confondre les quelques heures de cours qu’ils ont eu à propos de sa maladie avec les dix-sept années qu’elle a eu à la porter. Ses douleurs et sa fatigue sont vraies. Elle souffre dans son corps, autant que dans sa tête, et la différence entre les deux n’existe que dans la différence de spécialisations médicales qui la découpent sans plus l’entendre, ni l’écouter. 

Et puis, il y a ses origines ethniques, culturelles et sociales. L'un des principaux facteurs limitant l'accès à des soins adéquats et de qualité reste malheureusement l'origine ethnique et sociale des patients atteints de maladies rares. Les inégalités sociales qui marquent la profonde vulnérabilité des milieux défavorisés se prolongent jusque dans l'accès aux soins. L'information, le dépassement de la barrière de la langue, la compréhension des spécificités culturelles ou spirituelles des patients, ainsi que l'offre de ressources sociales et financières sont bien souvent insuffisants. Les termes techniques lors des consultations, dans les diagnostics et les traitements, les procédures administratives sont autant d’épreuves pour Layla et sa famille. 

VERS UNE PRISE EN CHARGE PLUS ÉQUITABLE ET INCLUSIVE 

Aujourd’hui, en cette Journée Mondiale des Maladies Rares, l’histoire de Layla nous rappelle que, derrière chaque diagnostic, se cache une famille, des espoirs et des combats. Les patients atteints de maladies rares ont droit à des soins de qualité, « sans qu’aucune distinction d’aucune sorte ne soit faite » (extrait de la loi belge relative aux droits du patient). Il est temps de mettre fin à la double peine qu’ils subissent. 

Alors, rares, peut-être, mais ensemble, nous sommes nombreux à pouvoir construire un système de santé plus juste et inclusif. Nombreuses sont les actions qui permettront d’alléger cette double peine. La reconnaissance des centres de référence multidisciplinaires, l’amélioration de la transition médicale lors du passage à l’âge adulte, la formation des soignants, les aides financières pour des soins gratuits et le soutien à la recherche sur les maladies rares sont autant de voies possibles pour que Layla, et tous les autres, ne soient plus invisibles ou exclus. 

 

 

Franck Devaux 
Ethicien et Président du Comité d’Ethique à l’HUDERF, Coordinateur de la Fonction Maladies Rares à l’Hôpital Universitaire de Bruxelles 
 

Professeur Béatrice Gulbis 
Directrice de la Fonction Maladies Rares à l’H.U.B et Co-Coordinatrice d’EuroBloodNet, le réseau européen de référence sur les maladies hématologiques rares